Nous republions ci-dessous un article paru en juin 2013 dans le numéro 51 du Journal du Cercle Maurice Blanchard , avec l’aimable autorisation de la rédaction dudit journal, et de l’auteur de l’article Madame Anne Parvillé. Qu’ils en soient remerciés.

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La petite histoire de Bus la Mésière

En ce mois de juin 662, Clotaire III, roi de France, sent venir sa fin prochaine. Il doit racheter ses péchés, car il craint Dieu … L’idée lui vient d’offrir à sa mère Bathilde le vaste domaine de La Terrière. Qu’elle en fasse don à l’abbaye de Corbie et surtout qu’elle prie pour son âme ! Mais pour l’heure, chers lecteurs, « ne finassons point » dans le bois du Marotin. Les gueux sont en colère, ils ont brûlé le moulin d’Antoine du Fossé.

L’abbé Martin-Val racontait jadis que « du haut de la montagne de Boulogne-la-Grasse (156 m), on apercevait Bus, lové entre les bois d’Audermes et du Marotin« . Voilà un village qui ne ment pas sur son étymologie ! Son nom trouve une origine latine en « bux » : les bois, comme Boissière, Boiteaux, Boussicourt et Bouillancourt.

On lit également dans les archives, Boscus (en 1050), puis Buscum et enfin Bus. Dans la Somme, on prononçait « Bou » en patois, pour désigner le bois – « défrétchir èl bordur d’éch bou » – d’où peut-être l’origine du mot « Bus » qu’on prononce aujourd’hui « Bu », en insistant sur le « u ».

Le temps des invasions …

L’empire romain était décadent et les terres de la Gaule suscitaient la convoitise. Aux postes de frontière, l’armée insuffisante voyait ses forts désertés … En 406-407, les Alains, Suèves, Vandales et Burgondes envahirent le pays. D’autres nomades, commandés par Attila, quittèrent l’Asie centrale et avancèrent vers l’Europe. Ces turco-Mongols semaient un tel effroi qu’on disait que l’herbe ne repoussait pas derrière leurs chevaux ; ils assiègeront Lutèce (aujourd’hui Paris) en 451 !

Les barbares (qu’on appellera au XIXème siècle »les Germains », pour simplifier) vont provoquer l’exil des Francs, un peuple basé le long du Rhin. Les Francs étaient des guerriers de haute taille, aux cheveux blonds et à la peau blanche. Ils s’établirent en Gaule. Adorant les forces de la nature, leurs croyances vont profondément marquer notre culture chrétienne. Quelques exemples d’habitudes qu’ils ont laissées à notre civilisation : les étrennes du début de l’année, les farces du mardi gras, le symbole de chance lié au trèfle à quatre feuilles, le chant du coucou considéré comme un présage de fortune ou de bonheur, la célébration du 1er mai, la Chandeleur …

Les fiefs de Mézières-le-Bus

L’histoire de ce village est intimement liée à ces deux fiefs. Mézières-le-Bus est un hameau aujourd’hui disparu. Il était situé le long d’un ancien chemin qui traversait la forêt, menant de Bus à Tilloly (ce chemin semble être celui qui se trouve à gauche du calvaire de Boulogne – route Bus/Boulogn-la-Grasse). En 1891, on pouvait encore en longer les vestiges, non loin du lieu-dit Le Riez ; il restait les bâtiments en torchis d’une grange. En 1583, cette terre appartenait à l’ambitieux Antoine de Stanaye, simple écuyer d’écurie du prince LouisLouis de Lorraine (1527-1578) s’occupa avec zèle de l’administration des diocèses. Il sacra Henri III roi de France à Reims le 13 février 1575., cardinal de Guise.

Notre écuyer d’écurie rêvait de s’anoblir ; il manda au cardinal Charles de Bourbon, grand abbé de l’abbaye royale de Corbie, d’ériger sa terre en fief. L’abbé accepta, mais à la condition qu’Antoine cultive l’églantier, pour fournir chaque année à l’abbaye « une belle couronne de roses rouges« . Antoine accepta et entra dans la petite noblesse de terroir. En 1586, Henri III, roi de France, valida son titre de noblesse par lettres patentes.

En 1584, Mézières-le-Bus regroupait les misérables chaumières de 70 habitants.

Le mot « Mézières »  vient du latin « maceria » qui signifie « murs de pierres« . Au fil des siècles, on l’utilisa pour désigner les « bâtiments en ruine« , notamment les villages gallo-romains abandonnés, suite aux invasions barbares.

En l’an 275, Bus et sa région étaient prospères. La plaine, cultivée avec soin, ressemblait un peu à celle d’ajourd’hui, sans nos villages familiers. Seules les grandes villas romaines marquaient le paysage.

En France, le mot Mésière ou Mezière présente d’autres variantes : La mazière(s) ; La mézière(s) ; mazère(s) ; Demézière(s) et même Mezel qui veut dire lépreux en vieux français.

Au fil des siècles, les villages de Bus et de Mézières vont se confondre. Certaines consonnes vont s’user : le « z » se transforma en « s ».

Bauvilliers (ou Beauvilliers) : ce fief s’étendait entre Bus et Grivillers et appartenait à Antoine de Stanaye, écuyer d’écurie et propriétaire de Mézières et de Bauvillers. En 1512, il y fit élever un moulin sur pioche dont la mécanique, tout en bois de différentes espèces, fut prélevée danz les bois tout proches.

Sous l’ancien régime, la noblesse pouvait décider de faire construire un « meulin à veint » et de contraindre les habitants à venir y moudre. C’était une manière de se rembourser des frais de bâtisse. Les manants qui cherchaient à se soustraire à ce droit encouraient la confiscation des sacs, chevaux et ânes sur lesquels étaient trouvées les farines. En 1600, le moulin fut détruit par le feu. Quelques temps plus tard, Antoine du Fossé (gendre d’Antoine de Sanaye) en fit élever un second au même emplacement. Mais en 1650, il s’enflamma à son tour !

Antoine du Fossé (ou Desfossés) n’abandonna pas la construction des moulins. Entre Bus et Fescamps, sur « le riez du Baillon », il en fit élever un troisième. Mais dans son empressement, il oublia de demander la permission à l’abbaye royale Saint-Pierre de Corbie. Cette dernière conservait des droits à Bus, depuis la fondation de l’abbaye par la reine Bathilde (635-680). Le châtiment fut immédiat : Antoine du Fossé perdit l’honneur de présenter le capel« capel » signifie « chapeau » en vieux français. de roses rouges … Cette couronne symbolique était exhibée le jour de la fête du Saint-Sacrement de Corbie. La procession des moines traversait alors la ville en liesse et c’était un moment de grande dévotion.

 

Le despotisme des moines

En 1644, la révolte gronde dans la région de Bus, car l’abbaye de Corbie interdit aux paysans de couper les arbres. Qu’ils se contentent de ramasser le bois mort ! Alors quelques marauds s’enfoncèrent dans les bois et écorcèrent 400 arbres, à 3 pieds du sol (90 cm), pour les faire périr. Ils comptaient ainsi les emporter comme bois mort ! Le seigneur abbé tout puissant voulut les punir.

La façade de l'église bâtie par les moines de l'abbaye de Corbie fut remplacée en 1883 par une construction en briques toujours visible de nos jours. L'édifice a été restauré après 1918.

Il ordonna aux curés de Bus, Fescamps, Boulogne et Popincourt de sermonner la population pour qu’elle dénonce les marauds. Mais peine perdue, les bouches restèrent closes. Pour impressionner, l’abbé fit emprisonner sept habitants de Fescamps, qu’on dût relâcher faute de preuve. Et c’est ainsi que le bois qui relie Bus à Fescamps prit le nom de Marotin (le bois des voleurs). Pour endiguer toute nouvelle rébellion, l’abbé de Corbie fit installer des poteaux de justice à Fescamps, Bus, Boulogne et Hainvillers.

L’abbé de Corbie était en colère : il n’avait pas soulis les paysans. Il rédigea une ordonnance qu’on afficha à Bus, Fescamps, Hainvillers et Boulogne-la-Grasse. Il défendait à quiconque de porter une arme à feu, de chasser avec des chiens, des filets ou même un furet ! Mais malgré cette interdiction, personne ne dénonça les coupables et les instruments de torture ne furent jamais utilisés.

L’insécurité liée à la guerre

Antoine de Stanaye, seigneur de Mézières-le-Bus, fit preuve un jour de grande bravoure en éloignant des gens de guerre venus piller les fermes de son domaine. Mais la suite de l’histoire fit mentir le proverbe « tel père, tel fils » car son fils, Louis de Stanaye, accepta en 1636 de loger à Bus des troupes de mercenaires.

Ces soldats, dont on ne sait s’ils étaient français ou étrangers, se nourrirent sur l’habitant. Ils pillèrent les récoltes et malmenèrent les Busiens. Ils consommèrent tous leurs vivres, firent de grands dégâts dans les maisons, souillèrent les pailles et les blés destinés à la semence. Lorsqu’ils quittèrent les lieux, ils emportèrent dans leurs chariots ce qui restait. Les Busiens connurent alors une période de grande disette.

Louise était l’épouse de Louis de Stanaye. Il semble qu’elle n’appréciait pas la cruauté de son époux. A la mort de ce dernier, elle ordonna qu’on distribue chaque année, aux pauvres de sa paroisse, quatre setiers de blé à perpétuité.

La retraite des bénédictins

Le vaste domaine de La Terrières appartenait à l’abbaye de Corbie. Il partait d’Hainvillers, englobait Boulogne-la-Grasse, Bus, Fescamps et Popincourt. L’histoire raconte que les moines de Corbie qui arrivèrent à Fescamps, organisèrent le défrichement vers Bus, droit devant eux. Les années passèrent et les terres furent mises en valeur. Les moines décidèrent d’arrêter les défrichements non loin de Bus.  Ils élevèrent alors une croix pour marquer la frontière entre le domaine cultivé et leur retraite.

Ils choisirent de s’installer à Bus, un lieu solitaire, propice à la prière. Ils dédaignèrent le florissant village de Fescamps, traversé par une route. Les moines ne se limitèrent pas aux défrichements. En raison de la nature des terres, souvent ingrates, sur lesquelles ils s’établissaient, ils avaient appris à maîtriser le cours des eaux. A Bus, selon la tradition orale, ils asséchèrent un grand étang qu’on appelait le Vivier.

Les moines se firent bâtisseurs, ils élevèrent une église à Bus, dont l’entrée arborait un porche sculpté en pierre grise de Mortemer. Il fut hélas abattu en 1883 et remplacé par le pignon triangulaire que l’on peut encore voir aujourd’hui.

Sur le côté de l’église, les moines construisirent une ferme et dans « la rue de la Prévôté », une maison seigneuriale pour loger leur prieur (ou prévôt). Dépendant de son supérieur hiérarchique, l’abbé de Corbie, il était également son adjoint et son auxiliaire. Il pouvait être amené à le remplacer en cas d’absence ou de maladie (ce qui ne se faisait jamais sans friction, car le nombre des prieurs était important). Notre super moine de Bus gérait la propriété foncière et commandait la communauté. Son prieuré était clos d’une enceinte qui lui garantissait isolement et protection contre les vols et les loups qui infestaient le pays. Doté d’une église, d’écuries, d’une forge, de cuisines, il bénéficiait d’un certain confort.

Le prieur puisait ses revenus sur les stocks de la grange aux dîmes (les paysans de Bus donnaient, sur toutes leurs récoltes, 7 gerbes sur 100). Les denrées étaient régulièrement convoyées vers l’abbaye de Corbie. A Bus, les habitants étaient imposés sur leurs maisons, la production de laine et les agneaux à vendre. Le prieur prélevait en plus une partie des revenus de l’imposition ; cela lui permettait d’assurer son train de vie et l’entretien de la communauté religieuse. Puis vint un temps où les moines durent rejoindre l’abbaye de Corbie. Ils abandonnèrent la gestion des terres qu’ils avaient aménagées avec tant de peine. Le prieur fut remplacé par un curé qui bénéficia des mêmes privilèges. Ils établirent un vicaire à Fescamps. La maison seigneuriale, rue de la Prévôté, fut démolie en 1684, à cause de sa vétusté. Il ne resta alors que la ferme des moines, avec son colombier et sa grange aux dîmes, située à côté de l’église. Dans le canton de Montdidier, toutes les granges dîmeresses ont disparu. La plus proche qui soit préservée se trouve à Plainval (Oise), dans une ferme isolée (site privé).

Les moines imposèrent comme vocable Saint Pierre car il est le saint patron de leur ville d’origine, Corbie. On le fête à Bus le dernier dimanche de juin.

Au XVIIIème siècle, le bourgeois de Montdidier Gabriel Scellier indique qu’on faisait la fête à Bus le 2 janvier, jour de la Saint Adélard, nom du grand abbé de Corbie. Également le 30 du même mois, on célébrait Sainte Bathilde (qui créa l’abbaye de Corbie). Mais Bus recèle d’autres protecteurs qui firent l’objet de processions ou de pèlerinages.

Vous avez dit Brigide ou Brigitte ?

Les abbés Corblet et Martin-Val, passionnés d’histoire, ne s’accordent pas sur le nom donné à la sainte de Bus. Est-ce Brigide, martyrisée aux côtés de Saint Maur à Balagny-sur-Thérain, ou bien Sainte Brigitte, la patronne des femmes enceintes ? Maurice Crampon, professeur de faculté amiénois, indique que les bêtes et les naissances étaient la richesse de ce pays. Il n’est donc pas étonnant qu’on trouve à Bus, au sujet des animaux, des pratiques identiques à celles que l’on observe pour les humains ! Nous choisissons donc Sainte Brigitte.

La chapelle de Sainte Brigitte est toujours mise à l’honneur à l’intérieur de l’église. Elle bénéficiait autrefois, à partir du premier dimanche de mai d’un pèlerinage qui durait neuf jours. De nombreux étrangers venaient à Bus pour toucher la statue. Ils tendaient vers elle des couronnes de buis et de fleurs champêtres. Ils les suspendaient ensuite dans leurs étables, en signe de protection. Le curé bénissait également du pain, que les croyants donnaient à manger aux animaux malades. Sous son vernis chrétien, se cachent ici les restes d’un culte païen, témoin de la survivance des croyances barbaresques de l’âge du Bronze et du Fer.

Haute de 40 cm, la statue de sainte Brigitte était en pierre. Elle fut détruite pendant les événements de la guerre de 1870. Celle qu’on peut voir aujourd’hui est moderne. En 1906, la famille Godart de Bus offrit à la commune une statue toute neuve. L’abbaye de Corbie n’est pas étrangère à l’instauration du culte de Sainte Brigide (ou Brigitte) dans le village de Bus car on vénérait, dans son église Saint-Etienne de Corbie, la même sainte. Dans la Somme, les villages de Candor et de Fouquescourt vénéraient de manière identique Sainte Brigitte.

Anne Parvillé

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A l’article ci-dessus, paru au Journal du Cercle Maurice Blanchard, nous nous permettons d’apporter le bref complément suivant :

La grande guerre

La région n’a pas été épargnée par les trois dernières guerres (1870, 1914-1918, 1940-1945), ce qui explique que beaucoup de maisons aient été reconstruites en briques alors qu’avant elles étaient plutôt à colombages et torchis, ou pierre et briques pour les plus cossues. Mais la guerre la plus douloureuse fut pour Bus, sans nul doute, celle de 1914-1918.

L’écrivain Blaise Cendrars explique, dans son récit de guerre « La main coupée », que le front étant du côté de Roye, le parc du château de Tilloloy servait de zone de repos pour les soldats. Un moment donné, son camarade Lang étant affecté à l’intendance, il partit prendre son poste à Bus. Arrivant sur la place du Marché, sa voiture fut bombardée et « le cheval, le cocher et Lang furent écrabouillés ». Blaise Cendrars nous dit que les restes du soldat Lang furent inhumés à BUS. Cependant, aucune tombe ne porte aujourd’hui son nom, et nous n’avons trouvé aucune trace administrative de cette inhumation dans les archives du cimetière de Bus.

Pas moins de 16 jeunes gens de Bus (pour une population de moins de 200 habitants) ont alors payé de leur vie leur combat pour que notre pays demeure indépendant et souverain, pour que chacun de nous fût libre. Leurs noms sont égrenés chaque 11 novembre par le Conseil Municipal afin que ne périsse pas le fruit de leur sacrifice :

  • ANCELIN Alphonse, mort pour la France,
  • COCHU Jules, mort pour la France,
  • DELAPORTE Paul, mort pour la France (en 1940 quant à lui),
  • DEQUIVRE Saint-Ange, mort pour la France,
  • DUCOULOMBIER Cyrille, mort pour la France,
  • DUCOULOMBIER Gabriel, mort pour la France,
  • DUCOULOMBIER Maurice, mort pour la France,
  • DUFEU GEORGES, mort pour la France,
  • DURAND Albert, mort pour la France,
  • GILLES Emile, mort pour la France,
  • LECONTE Louis, mort pour la France,
  • MALLET Firmin, mort pour la France,
  • MAUPIN Marcel, mort pour la France,
  • REVEL Fernand, mort pour la France,
  • TETART Eugène, mort pour la France,
  • TETART Alphonse,mort pour la France,

Après cela, les fermes manquant de bras, plusieurs d’entre elles furent reprises par des personnes venues d’autres régions.

L’arbre de la Liberté

Conscient de la fragilité de nos libertés individuelles et nationales et du trésor que celles-ci représentent pour tout un chacun, alors qu’à l’est le rideau de fer derrière lequel étaient détenus les peuples d’URSS commençait de se déchirer, le gouvernement appela les 36 000 maires de France à planter chacun, le 21 mars 1989, un « arbre de la liberté »(1) lors de la célébration du bicentenaire de la Révolution Française et des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le Conseil Municipal de BUS LA MESIERE décida de répondre favorablement à cet appel.

Une stèle de marbre signale l’arbre de la Liberté ainsi planté, qui porte les mentions « 1789 1989 Liberté, Liberté chérie ». Il se trouve entre la mairie et l’église, face à la salle des fêtes.

(1) Le 31 janvier 1989, le Président de la Mission du Bicentenaire de la Révolution Française Jean-Noël JEANNENEY envoyait aux 36 000 maires de France un courrier, leur demandant de planter, tous ensemble le 21 mars (1er germinal) un « arbre de la liberté » et l’assortissant d’un « bon-subvention » pour ce faire.